Pour un débat serein et constructif sur les outils de la victoire
Cher-e-s camarades de la nouvelle FSE,
Nous nous réjouissons de votre démarche qui consiste à clarifier et réhabiliter des moyens et des pratiques syndicales de lutte qui n’étaient plus en phase avec l’UNEF. Nous vous soutenons donc et vous souhaitons tous nos vœux de réussite. Profitant de votre initiative, et avant votre congrès constitutif de fin juin, permettez-nous d’engager avec vous une réflexion concernant votre « vision du syndicalisme » et des propositions.
Au vu des défaites répétées depuis une dizaine d’années concernant les « mobilisations jeunes », notamment étudiantes, il nous semble nécessaire que nous échangions ensemble sur les outils de la victoire et que nous tirions le bilan de ce qui a marché et de ce qui n’a pas marché chez les organisations et générations précédentes, lycéennes et étudiantes. Loin de nous l’idée de faire la leçon, nous avons à apprendre mutuellement de l’histoire et de nos expériences.
Les Jeunesses Syndicalistes (JS) se sont reformées en septembre 2018, rassemblant des jeunes de la CGT mais aussi d’autres organisations, afin de préparer une plate-forme de textes pour les mouvements à venir. Ces textes se sont retrouvés dans plusieurs villes comme support d’une mobilisation lycéenne qui fut livrée à elle-même (le bilan de ce mouvement, par nos soins, est disponible sur notre site). Nous disons « re »formées car les JS sont le nom historique des jeunes syndicalistes de la CGT structurés avant et après la première guerre mondiale. Nous nous inspirons de ce modèle, et avons l’ambition de reformer un mouvement syndical de jeunesse fort rassemblant lycéen-nes des filières pro. et générales, étudiant-e-s, jeunes travailleurs-euses, privés d’emplois et précaires. Ce mouvement de jeunesse, nous entendons l’affilier au moment venu à la confédération syndicale de classe CGT. Nous considérons que les différents secteurs de la jeunesse ont comme point commun : la précarité, des problèmes liés à l’accès au logement, à la formation, à la sociabilité et à la culture. Sur ces points, une organisation liant le tout est indispensable.
Pour nous, la FSE se pose les bonnes questions et a une analyse de la situation très proche de la nôtre. Nous attendions donc beaucoup du processus qu’avait engagé la TUAS en sein de l’UNEF jusqu’à ce qu’elle quitte l’organisation étudiante historique. Il nous semblait que la TUAS se rapprochait de la CGT avec le développement de syndicats étudiants et lycéens CGT (que nous soutenons). Nous sommes donc étonnés de la tournure qu’a pris pour l’instant le processus de scission, à savoir déboucher sur une nouvelle organisation étudiante, reproduisant (semblerait-il) les mêmes erreurs que les générations précédentes. Car l’effondrement des organisations de jeunesse vient essentiellement du fait que cette jeunesse est restée trop longtemps cloisonnée en organisations spécifiquement lycéennes et spécifiquement étudiantes, sans lien concret avec les organisations de classe et de masse. Ce constat nous semble donc contradictoire avec ce que vous affirmez dans le point 5 « Nous refusons de nous enfermer dans un entre-soi militant coupé des masses et tirons cette leçon du bilan des organisations nous ayant précédés ».
Nous ne remarquons pas la « massification » de l’entrée des classes populaires dans le supérieur dont vous parlez dans le « 1er Point : Sur la lutte des classes dans l’Enseignement supérieur ». Depuis plus de 5 ans, le phénomène s’est au contraire inversé. L’application catastrophique de Parcours-sup, l’augmentation des frais d’inscriptions, des loyers, des prix des services du CROUS et des mutuelles étudiantes ; la concentration progressive des étudiant-e-s autour de pôles géographiques alignés sur la réforme des régions et l’autonomie des universités ; la perte de reconnaissance des diplômes et des filières, notamment en Licence, ainsi que l’allongement du temps de travail allant avec les réformes de la retraite sont au contraire en train d’éloigner les jeunes issus des milieux populaires. L’université a tendance à redevenir l’institution d’élite qu’elle était il y a plus d’un siècle en étant une fac ouverte aux intérêts privés et fermée aux enfants d’ouvriers. Dans ces conditions, un syndicalisme spécifiquement étudiant n’est-il pas tout autant un syndicalisme d’élite ? C’est-à-dire corporatiste.
Ce syndicalisme spécifiquement étudiant que vous semblez vouloir maintenir pour le moment, est, selon nous, très éloigné de ce que vous exposez dans les points 2 et 3sur les travailleuses et travailleurs en formation et sur le syndicalisme étudiant. Il nous semble faux et contradictoire de dire que « Cette matérialisation de la lutte des classes nécessite la reconnaissance d’une forme particulière de syndicalisme : le syndicalisme étudiant. » Au contraire, la matérialisation de la lutte des classes nécessite la reconnaissance particulière du syndicalisme de classe. Or le syndicalisme étudiant, dont l’existence repose sur les « masses étudiantes » (différentes des « masses » dans une analyse de classe) et sur l’adhésion en tant qu’étudiant avec des problématiques spécifiques, n’est pas du syndicalisme de classe. Car ce qui caractérise le syndicalisme de classe, c’est l’adhésion au syndicat de par son identité et son intérêt de classe (en l’occurrence le prolétariat, la classe ouvrière), mais surtout la volonté de casser les cloisonnements que nous imposent nos adversaires et unifier la classe sur des bases pratiques communes en vue d’émancipation.
Par exemple, dans le syndicalisme professionnel, le syndicalisme de classe incarné par la CGT (dont l’identité et la stratégie sont définies par la Charte d’Amiens de 1906), a toujours veillé, historiquement, à lutter contre les syndicats d’entreprises et les corporatismes en privilégiant les syndicats d’industrie par localité et l’aspect interprofessionnel de la confédération. Ainsi, un syndicat ou une fédération qui n’est pas affilié à la confédération syndicale de classe ne peut pas faire du « syndicalisme de classe » même s’il s’en revendique et s’il en est convaincu. Le syndicalisme de classe n’est pas un slogan ou une posture, c’est bien une pratique qui ne peut exister qu’avec l’organisation adéquate. C’est-à-dire une confédération syndicale de classe et de masse, comme la CGT.
Nous partageons votre analyse concernant la prolétarisation et la précarisation des étudiant-e-s. En cela, il serait d’autant plus logique, pour nous, de rompre au plus vite avec le syndicalisme étudiant qui est la base des échecs de ces dernières années. Les étudiant-e-s travaillent et leur cursus de formation est professionnel. L’organisation syndicale étudiante doit donc rejoindre les organisations syndicales de travailleurs-euses. Cette rupture n’empêche pas la « forme particulière du syndicalisme : le syndicalisme étudiant » que vous voulez garder. Car il suffit simplement de créer des sections syndicales étudiantes à l’intérieur de syndicats lycéens-étudiants-apprentis-privés d’emplois, eux-mêmes rattachés à une fédération nationale de jeunesses syndicalistes, elle-même rattachée à la confédération syndicale de classe. Le lien étudiant-travailleur est alors assuré tout naturellement et a bien cette fois une dimension « de classe » et « de masse ».
Les Jeunesses Syndicalistes vous font donc les propositions suivantes : un rapprochement de la FSE avec les JS en développement, etl’objectif d’unification avec les SEL-CGT dans la confédération. Ceci, afin de structurer et fédérer syndicalement le mouvement de la jeunesse, de partir à l’offensive avec des outils forgés pour la victoire. Il s’agit aussi de peser au cœur des confédérations syndicales de classe qui débattent en interne autour de la syndicalisation des jeunes. Cette syndicalisation est bien évidemment un enjeux prioritaire. De plus, l’implantation et le développement des SEL-CGT, des JS et de la FSE est complémentaire afin d’avoir un maillage national suffisamment conséquent pour impulser des mouvements massifs et coordonnés. La possibilité de rapprochement et de double adhésion est rendue possible par votre « 4ème Point : Sur nos moyens et pratiques syndicales » et le « 9ème Point : Sur l’indépendance syndicale ».